I. Introduction🔗
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Convention sur le génocide) a été le premier traité international sur les droits de l’homme adopté par l’Assemblée générale des Nations unies.
L’article I fait du génocide un crime de droit international, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, et oblige les États non seulement à ne pas commettre de génocide, mais encore à le prévenir et à le punir. L’article II définit le crime de génocide comme « l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel » :
- Tuer des membres du groupe ;
- Causer des dommages corporels ou mentaux graves à des membres du groupe ;
- Le fait d’infliger délibérément au groupe des conditions de vie visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- Imposer des mesures visant à prévenir les naissances au sein du groupe ; et
- Transfert forcé d’enfants du groupe vers un autre groupe.1
En vertu de l’article III, les actes suivants sont punissables :
- Commettre un génocide ;
- Conspiration en vue de commettre un génocide ;
- Incitation directe et publique à commettre un génocide ;
- Tentative de génocide ;
- Complicité de génocide.
Les obligations de la Convention sur le génocide sont erga omnes (c’est-à-dire qu’elles s’appliquent à tous les États, qu’ils soient ou non parties à la Convention),2 erga omnes partes (c’est-à-dire qu’un État partie les doit à tous les autres États parties),3 et des normes internationales impératives (jus cogens) auxquelles aucune dérogation n’est permise.4 Les principes qui sous-tendent la Convention sont des principes reconnus par la communauté internationale comme contraignants pour tous les États, même en l’absence de toute obligation conventionnelle.5
La Cour internationale de Justice (CIJ) statue sur les différends entre États parties relatifs à l’interprétation, à l’application ou à la mise en œuvre de la Convention sur le génocide.6 Le caractère erga omnes partes des obligations de la Convention sur le génocide permet à tout État partie d’engager une procédure devant la CIJ concernant la responsabilité présumée d’un autre État partie pour une violation de la Convention.7 Pour ce faire, le premier État n’est pas tenu d’avoir été « spécialement affecté » par cette violation ; par exemple, il n’a pas besoin de démontrer que l’une des victimes de la violation alléguée était son ressortissant.8 Tous les États parties à la Convention ont un intérêt commun à assurer la prévention, la répression et la punition du génocide.9
Toutefois, le caractère erga omnes de ses obligations n’affecte pas la règle selon laquelle les États doivent consentir à la compétence de la CIJ avant qu’elle ne puisse statuer sur les différends.10 Le fait que des droits et obligations erga omnes puissent être en cause dans un différend ne donne pas à la CIJ compétence pour examiner ce différend.11 De même, le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme de jus cogens ne constitue pas en soi une base de compétence de la CIJ pour examiner ce différend.12
En outre, malgré la nature de jus cogens de l’interdiction du génocide et les obligations erga omnes qui en découlent, les réserves à la Convention sur le génocide ne sont pas interdites.13 Les réserves à l’article IX, qui concerne la compétence de la CIJ sont acceptables, car elles n’affectent pas les obligations substantielles et excluent plutôt une méthode particulière de règlement d’un différend. Par conséquent, ces réserves ne sont pas incompatibles avec l’objet et le but de la Convention sur le génocide.14
Les obligations de fond découlant des articles I et III ne sont pas limitées par le territoire. Les États doivent prévenir et ne pas commettre d’actes de génocide partout où ils sont en mesure de faire face à de tels actes.15
I.1 Les violences sexuelles au regard de la Convention sur le génocide🔗
La CIJ a reconnu que les violences sexuelles pouvaient constituer un génocide si elles étaient accompagnées d’une intention spécifique de détruire le groupe protégé.16
Pour qu’un crime soit qualifié de génocide, l’auteur doit commettre l’un des actes énumérés à l’article II et l’avoir accompli dans l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ces deux éléments distinctifs sont appelés actus reus (c’est-à-dire l’acte criminel lui-même) et mens rea (c’est-à-dire l’intention qui sous-tend l’acte).
Le viol et les autres actes de violence sexuelle peuvent constituer l’actus reus du génocide lorsqu’ils causent une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres d’un groupe protégé,17 et constituent un génocide lorsqu’ils sont commis avec l’intention requise.18
Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine contre Serbie-et-Monténégro, la CIJ a cité avec approbation :
- L’affaire Akayesu du Tribunal pénal international pour le Rwanda, selon laquelle le viol et la violence sexuelle constituent une atteinte grave à l’intégrité physique et mentale des victimes/survivants et sont l’un des pires moyens d’infliger un préjudice à la victime/survivant/e puisqu’elle souffre autant d’une atteinte à son intégrité physique que d’une atteinte à son intégrité mentale ;19 et
- La jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui reconnaît que les atteintes graves à l’intégrité physique et mentale comprennent « les actes de torture, les traitements inhumains ou dégradants, les violences sexuelles, y compris le viol, les interrogatoires accompagnés de coups, les menaces de mort et les atteintes qui portent atteinte à la santé ou provoquent des défigurations ou des blessures ».20
En l’espèce, le groupe protégé a été systématiquement soumis à des mauvais traitements massifs, à des passages à tabac, à des viols et à des tortures causant de graves lésions corporelles et mentales, pendant le conflit et, en particulier, dans les camps de détention : cela constitue un actus reus de génocide, à savoir « [l]es atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ».21 Cependant, la CIJ n’a pas pu établir, sur la base des preuves, que ces atrocités avaient été commises dans l’intention spécifique de détruire le groupe protégé, en tout ou en partie, ce qui est nécessaire pour constituer un génocide.22
Dans l’affaire Croatie contre Serbie, la CIJ a déclaré que le viol et d’autres actes de violence sexuelle peuvent également constituer une infraction :
- Le fait d’infliger délibérément au groupe protégé des conditions de vie calculées pour entraîner sa destruction physique, en tout ou en partie ;23 et
- Mesures destinées à prévenir les naissances au sein du groupe.24
Le caractère systématique de ces actes doit être analysé pour déterminer s’ils sont susceptibles de constituer l’actus reus du génocide. En outre, pour les actes visant à empêcher les naissances, les circonstances de la commission de ces actes et leurs conséquences doivent affecter la capacité du groupe à procréer.25
Note aux lecteurs
Toutes les obligations relatives à la prévention et à la répression du génocide, énumérées dans ce sous-chapitre, s’appliquent aux VSLC qui constituent un crime de génocide.
II. Le cadre juridique🔗
Note aux lecteurs
Pour une explication des pouvoirs de la CIJ et de la force obligatoire de sa jurisprudence, voir le chapitre « Ratification et exécution des traités », sous-section « Cour internationale de Justice ».
III. Les obligations🔗
La prévention🔗
III.1 Les États doivent prendre des mesures législatives et autres mesures pour prévenir la VSLC🔗
En vertu de l’article I, les États parties s’engagent à prévenir le crime de génocide. L’article I « met en évidence le lien étroit qui existe entre la prévention et la répression » :26 « l’un des moyens les plus efficaces de prévenir les actes criminels » consiste pour les États à prévoir des sanctions et à les imposer effectivement aux auteurs de ces actes.27 L’obligation de prévenir est une obligation distincte qui n’est pas « absorbée par l’obligation de punir ».28
L’obligation de prévenir le génocide est une obligation de comportement et non de résultat. Les États ne sont pas tenus de réussir à prévenir le génocide.29 Ils doivent plutôt employer tous les moyens raisonnablement à leur disposition pour prévenir le génocide dans la mesure du possible.30 Les États n’engagent leur responsabilité que lorsqu’ils n’ont manifestement pas pris toutes les mesures à leur disposition.31 L’argument selon lequel un génocide n’aurait pas pu être empêché, même si un État avait employé tous les moyens raisonnablement à sa disposition, n’est pas pertinent pour déterminer si cet État a manqué à son obligation de prévenir le génocide.32
Pour déterminer si un État a pris toutes les mesures raisonnablement disponibles, la CIJ a identifié comme pertinente la capacité de l’État à influencer efficacement l’action des auteurs éventuels ou réels. Cette capacité peut dépendre de la distance géographique d’un État par rapport au lieu des événements et de la force des liens politiques et autres entre les autorités de cet État et les auteurs.33 Les États parties ne peuvent pas se dispenser de l’obligation de prévenir le génocide en demandant à l’Organisation des Nations unies (ONU) de prendre des mesures en vertu de la Charte des Nations unies pour prévenir et réprimer l’un quelconque des actes énumérés à l’article III.34
Enfin, la CIJ a précisé qu’un État ne peut être tenu pour responsable de la violation de l’obligation de prévenir l’un des actes énumérés à l’article III que dans les cas où un génocide a été perpétré.35 Cela ne signifie pas que l’obligation de prévenir le génocide ne s’applique que « lorsque la perpétration du génocide commence ». Les États doivent prévenir ou tenter de prévenir la commission d’un génocide lorsqu’ils ont connaissance ou auraient normalement dû avoir connaissance de l’existence de risques sérieux que l’un quelconque des actes énumérés à l’article III soit commis.36
III.2 Les États ne doivent pas commettre d’actes de VSLC🔗
En raison de l’interdiction du génocide et d’autres actes énoncés à l’article III et de l’obligation de prévenir le génocide énoncée à l’article I, les États ont l’obligation de ne pas commettre les actes interdits par l’intermédiaire de leurs propres organes ou de personnes dont le comportement est attribuable à l’État.37
Complicité des États dans le génocide. L’obligation de ne pas commettre de génocide exige des États qu’ils ne soutiennent pas les auteurs de génocide. Dans le cas contraire, les États peuvent être responsables de complicité de génocide.38
Pour être considéré comme complice, un État doit agir de manière à fournir une aide ou une assistance à ses auteurs.39 L’État peut être responsable de complicité de génocide si au moins ses organes avaient connaissance qu’un génocide allait être commis ou était en cours, et si l’aide et l’assistance fournies, à partir du moment où les autorités en ont eu connaissance, ont permis ou facilité aux auteurs de commettre des actes de génocide.40 L’État doit avoir apporté son soutien à la perpétration du génocide en toute connaissance de cause.41
Note aux lecteurs
La question de savoir si, pour être complices d’un génocide, les États doivent partager avec les auteurs l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé est une question juridique ouverte, la CIJ ayant refusé d’aborder cette question dans l’affaire Croatie/Serbie.
Justice et responsabilité🔗
III.3 Les États doivent punir les VSLC🔗
Les États ne doivent pas accorder l’impunité aux auteurs de génocide :42 les États doivent punir les auteurs des actes énumérés à l’article III, qu’il s’agisse de chefs d’État, d’agents publics ou d’acteurs privés.43 Les États doivent également prévoir des sanctions effectives pour les auteurs de génocide dans leur droit interne.44
En vertu de l’article VI, seul un État sur le territoire duquel l’un des actes énumérés à l’article III a été commis doit en poursuivre les auteurs devant un tribunal compétent de cet État. À défaut, les auteurs doivent être jugés par un tribunal pénal international dont les États parties ont accepté la compétence.45 Bien que l’article VI n’interdise pas aux autres États de poursuivre les actes énumérés à l’article III, ils ne sont pas tenus de le faire.46
En l’absence de poursuites nationales, les États parties doivent coopérer avec le tribunal pénal international dont ils ont accepté la compétence.47 Les États doivent arrêter les personnes accusées de génocide qui se trouvent sur leur territoire – même si le crime a été commis en dehors de l’État – et les remettre au tribunal international compétent pour qu’elles soient jugées.48
La notion de « tribunal pénal international » couvre toutes les juridictions pénales internationales créées après l’adoption de la Convention sur le génocide, de portée potentiellement universelle, et compétentes pour juger l’un des actes énumérés à l’article III.49 Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine contre Serbie-et-Monténégro, la CIJ a estimé que la Serbie avait manqué à son devoir de coopérer pleinement avec le TPIY et que ce manquement constituait une violation de ses devoirs en qualité de membre des Nations unies et de ses obligations au titre de l’article VI de la Convention sur le génocide.50
La responsabilité de l’État peut être engagée en vertu de la Convention sur le génocide pour l’un des actes énumérés à l’article III, même si aucun individu n’a été condamné. Cela peut être le cas lorsque les dirigeants d’un État ont prétendument commis un génocide mais qu’ils n’ont pas été jugés parce que, par exemple, ils contrôlent toujours les pouvoirs de l’État, y compris la police, le ministère public et les tribunaux, et qu’il n’existe pas de tribunal pénal international capable de juger les crimes allégués ; « ou que l’État responsable peut avoir reconnu la violation ».51
Attribution du génocide commis par des acteurs privés à des États. Bien que la question de l’attribution aux États du génocide commis par des acteurs privés et des règles coutumières régissant la responsabilité des États dépasse le cadre du présent guide, d’une manière générale, la question de savoir si les États peuvent encourir une responsabilité internationale pour un génocide commis par des acteurs privés dépend de trois éléments :52
- Tout d’abord, la question de savoir si les actes de génocide peuvent être attribués à un État doit être déterminée en vertu des règles du droit international coutumier relatives à la responsabilité de l’État. Les actes doivent avoir été commis par des personnes ou des organes dont le comportement est attribuable à l’État ;53
- Ensuite, la question de savoir si les actes prohibés par l’article III, autres que le génocide lui-même, ont été commis par des personnes ou des organes dont le comportement est attribuable à un État doit être tranchée selon ces mêmes règles ;54
- Enfin, il faut déterminer si un État s’est acquitté de ses obligations de prévenir et de punir le génocide en vertu de l’article I. La question de savoir si un État s’est acquitté de ses obligations de prévenir et de punir le génocide ne se pose que si la réponse aux deux premières questions est négative.55
Ces trois questions doivent être traitées dans l’ordre indiqué ci-dessus, car elles sont tellement liées que la réponse à l’une d’entre elles peut affecter la pertinence ou l’importance des autres ».56
III.4 Les États peuvent extrader les auteurs de VSLC🔗
En vertu de l’article VII, les États ne doivent considérer aucun des actes énumérés à l’article III comme des crimes politiques aux fins d’extradition, et les États s’engagent dans ce cas à accorder l’extradition.57
Étude de cas : Jusqu’à présent, la CIJ n’a pas été saisie d’une affaire fondée uniquement sur l’article VII. Toutefois, dans l’affaire la Belgique contre le Sénégal, elle a eu l’occasion d’analyser une disposition similaire : l’article 7 de la Convention contre la torture, qui stipule que l’État partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis des actes de torture doit poursuivre l’auteur présumé de ces actes, s’il ne l’extrade pas.58 La Commission du droit international (CDI) a estimé que l’article 7 pouvait servir de modèle aux régimes de poursuite ou d’extradition régissant les interdictions couvertes par des normes impératives, telles que le génocide.59
La CIJ a déclaré qu’en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’obligation de poursuivre est normalement mise en œuvre après que l’État a érigé la torture en infraction pénale, a permis à ses tribunaux de statuer sur l’affaire et a enquêté sur les faits.60
En vertu de l’article 7 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, un État doit poursuivre les auteurs d’actes de torture, « indépendamment de l’existence d’une demande préalable d’extradition du suspect ». Un État doit procéder à une enquête préliminaire « immédiatement à partir du moment où le suspect se trouve sur son territoire ». L’enquête ne doit pas nécessairement aboutir à l’ouverture d’une procédure.61
Si l’État sur le territoire duquel se trouve le suspect a reçu une demande d’extradition vers un autre État, il peut se libérer de son obligation de poursuivre en accédant à cette demande. Toutefois, le choix entre l’extradition et les poursuites nationales ne signifie pas que les États doivent accorder le même poids à ces deux options. En vertu de la Convention contre la torture, l’extradition est une option, tandis que les poursuites constituent une obligation internationale dont la violation engage la responsabilité de l’État.62